La machine infernale

En date du 22 juin le caporal Autin avait écrit «[…] les allemands envoient une torpille roulante qui nous démoli un parapet, personne n’est touché[…] »

Dans le JMO du régiment cette « torpille » est décrite comme « une sorte de machine infernale qui produit un bruit extraordinaire et paraît avoir un effet destructif puissant ».

En effet, les défenses accessoires, le parapet de tir sont gravement endommagés et le blockhaus du T français est décapité.

Mais c’est dans le JMO de la division que l’on obtient le plus de détails sur cet engin et sur ses effets.

A 1h 30 un minnenwefer est lancé sur le T français (tranchée 71-110), causant d’assez sérieux dégâts […] A 14h un rapport du capitaine commandant la Zone D transmis par la 301e Brigade, donne des précisions sur le minnenwerfer lancé cette nuit par les allemands. Le capitaine a cru voir là une machine de guerre non encore aperçue qu’il baptise « Tarasque » et décrit en ces termes :

« C’est un projectile sur roues, muni de griffes qui coupent les fils de fer en les franchissant, elle est poussée de loin ou tirée au moyen d’une corde et d’une poulie attachée préalablement à un point fixe, elle éclate à pied d’oeuvre »

Le général de Brigade ajoute qu’il ne croit pas qu’un tel engin s’il existe puisse être manoeuvré par des moyens aussi rudimentaires que ceux décrits, il supposerait plutôt qu’il utilise la force d’expansion de l’air comprimé.

Cet engin a produit cette nuit une explosion formidable entraînant l’éboulement d’une partie des parapets de T français (partie N et partie O)

Quelques jours en juin…

On n’arrêtera pas de le lire dans les pages du JMO et de le transcrire dans celles de ce blog: la vie des gars du 403e engagés sur le front de la Somme en 1915 est encore et toujours ponctuée par les explosions de mines, les bombardements sporadiques, le tout entrecoupé de quelques moments ou journées d’accalmie.

Extraits du JMO :

9 Juin

Journée calme, quoique les tirs de canon de 58 et les obusiers Aaseu provoquent d’une manière presque régulière des tirs de l’artillerie allemande.

A 21 h 45 le génie fait exploser une mine au N.O. Du D Français et au S.E. De l’entonnoir n°1. Nos troupes occupent la lèvre Sud de l’entonnoir et s’y organisent malgré un feu de mousqueterie assez intense de la part des Allemands.

11 Juin

A 2h35 le Génie fait exploser une mine au Nord de l’angle Est du D Français. L’entonnoir produit à l’Est de l’entonnoir n°2 semble avoir la forme d’un oeuf ;il paraît mesurer 40 mètres environ du côté Est au bord Ouest ; son diamètre semble être de 25 mètres sur l’autre face.

Nos troupes ont occupé la lèvre Sud de l’entonnoir et tiennent l’ennemi en respect par un feu de mousqueterie assez intense.

18 Juin

A 7h45, explosion d’une mine Française au Bois François. L’explosion a été très violente et des projections de terre ont atteint le Poste de commandement du Capitaine Tartrat, commandant la zone E. Le capitaine Tartrat a été contusionné. Notre Artillerie exécute un tir de barrage. L’artillerie Allemande riposte. Le calme renait et subsiste pendant la fin de la journée.

19 Juin

Matinée calme.

A 14h30, les Allemands lancent des bombes, des saucissons et des grenades sur la zone E : le parapet de tir est sur certains points, un peu endommagé. L’infanterie ennemie exécute un feu violent, mais n’attaque pas. Notre Infanterie y répond, le 75 exécute un tir de barrage.

20 Juin

A 9h10, le Génie fait exploser une mine à la limite des zones E et D vers G5. Tir de barrage. Riposte allemande : grenades, saucissons jusqu’à 10 heures.

Nous occupons notre tranchée Garibaldi après essai d’occupation de la lèvre Sud. Le Lieutenant Taillebot de 7e Cie qui, résolument s’était porté en avant avec une ½ section, pour occuper la lèvre Sud de l’entonnoir est grièvement blessé.

Les Allemands occupent la lèvre Nord du nouvel entonnoir.

A 10 heures, tir de 58 qui provoque une nouvelle riposte allemande et une tentative de leur part pour occuper la lèvre Sud ; ils sont arrêtés par notre tir et celui du 75.

21 Juin

Dans la matinée, des avions allemands survolent nos lignes et semblent régler les tirs de l’artillerie allemande sur les batteries placées en arrière de nos lignes. Le Régiment a la douleur d’apprendre la mort du Lieutenant Taillebot décédé des suites de ses blessures à l’Ambulance d’Etinehem où il avait été transporté le 20 Juin.

22 Juin

A 1h30, les Allemands lancent sur nos lignes, groupe Ouest au T Français, une sorte de machine infernale qui produit un bruit extraordinaire et paraît avoir un effet destructif puissant. Nos défenses accessoires, notre parapet de tir, sont sur ce point, assez gravement endommagés. Le blockhaus du T Français est décapité.

Les pertes du Régiment pendant le mois de juin s’élèvent à : 1 officier, 2 sous-officiers, 11 caporaux et 121 soldats blessés – 4 sous-officiers, 1 caporal et 35 soldats tués – 1 soldat disparu.

Le 28 Juin, le Régiment recevait un renfort de 50 hommes fourni par le dépôt du 74e d’Infanterie.

A la même époque dans son carnet le caporal Autin note : (*)

7 juin
Reçu une lettre de ma femme, tout trois vont bien à la maison, mes camarades sont prisonniers.

Toute la nuit à gauche et à droite de notre secteur, violent bombardement d’artillerie- à 7h lancement de saucisses par les Allemands; résultat deux blessés dans ma section, 3 tombent à quelques mètres des cuisines mais personne n’est atteint, le soir alerte sans résultat.

 

8 juin

7h au soir, un 98 autrichien ( ?) employé par les Allemands, tombe à 10 m de ma cuisine, le déplacement d’air me soulève de ma chaise alors que je suis en train d’écrire à ma femme, personne n’est atteint.

 

9 juin

8h ½ nous faisons sauter une mine et assistons à un magnifique feu d’artifice. Les 75 et 77 s’entrecroissent, la fusillade est bien nourrie, les torpilles tombent dru et nous réussissons à n’avoir aucune perte.

 

10 juin

La mine d’hier soir a fait une victime parmi mes connaissances. En prenant l’entonnoir la 7ème compagnie a eu 7 blessés, 2 tués-1 h du soir la 6ème compagnie à 6 blessés par un saucisson.

 

18 juin

7h nous faisons sauter une mine au bois français ; cette mine allume une allemande, résultat, l’ennemi tient l’entonnoir ½ section amochée.

 

19 juin

Une salve fait tomber le parapet nous séparant des allemands, nos partons. 11h nous conservons la tranchée malgré un fort bombardement.

 

20 juin

Nous faisons sauter une nouvelle mine, elle fait un entonnoir de 28 mètres de long pour lequel Allemands et Français entrent en lutte ; une vingtaine de blessés ou tués de part et d’autre. Résultat : chacun à cause du terrible bombardement est obligé de rester à chacun……..placer la mine étant intenable.

 

22 juin

Cette nuit bombardement de nos tranchées. Nous avons 3 [(blessés ? tués ?)], les allemands envoient une torpille roulante qui nous démoli un parapet, personne n’est touché-Bray a été de nouveau bombardé par les avions, nous avons un tué et plusieurs blessés[…]

(*) C’est ici que nous quittons le caporal Autin. Informé d’une possible offensive du côté d’Arras il clôturera son carnet le 27 juin et réussira à le faire parvenir à l’arrière. Il sera tué moins de trois semaines plus tard lors du coup de main du 19 juillet.

A petit feu…

A l’instar d’autres secteurs du front, à l’ombre des grands récits de 14-18, dans la Somme le centre de résistance 71-110 occupé en 1915 par les 403e et 410e ne suscitera jamais d’intérêt particulier.

Ici on ne meurt pas dans de grandes offensives meurtrières, on meurt à petit feu ; enseveli par l’explosion d’une mine, transpercé par les débris d’obus, frappé par la balle d’un tireur embusqué, tué au cours d’un patrouille ou encore, pour certains, emporté par une de ces sales maladies qui rodent dans les tranchées. Sans compter les blessés qui, à l’hôpital temporaire de Etinehem décèdent après plusieurs jours de souffrances.

Avant l’arrivée des Britanniques, la seule grande « offensive » qui fera date dans ce secteur est le « coup de main » du 19 juillet 1915. Un coup de main qui verra 115 hommes mis hors de combat parmi lesquels on relèvera 59 blessés, 38 tués et 18 disparus.

Mais le secteur est réputé calme et ici les soldats meurent, hormis la considération de leurs compagnons, dans l’indifférence.

Le 25 mai à 18h30 les Allemands font exploser une mine en avant du secteur dit « des entonnoirs ». Selon le JMO de la division, cette mine bouleverse la tranchée sur 20 à 25 mètres et comble les boyaux Kervel et Gicquel ensevelissant 10 hommes.

Les hommes du 403e y échappent de peu car les malheureux qui sont ensevelis appartiennent au 410e qu’ils allaient relever à cet endroit quelques heures plus tard.

Leur compagnons s’emploient à les dégager sous le feu de barrage de l’ennemi. Les sapeurs viennent à la rescousse pour aider les hommes dans leur tâche de déblaiement. Cinq cadavres seront retirés le 26, deux autres le lendemain et un dernier sera encore retrouvé le 27.

Pas de répit pour les hommes, les Allemands ne lâchent pas prise. Le 27 mai le génie perçoit de nouveaux bruits dont tout indique qu’il s’agit de l’exécution d’un nouveau fourreau de mine et ce toujours dans le voisinage du Bois français où a eu lieu l’explosion du 25.

Toujours selon le JMO de la division, par une sage mesure de précaution, le commandement décidera l’évacuation provisoire de cette zone dangereuse ne laissant sur place que quelques guetteurs et les mitrailleuses seront mises en position. Cependant aucune explosion de mine n’aura lieu là, du moins dans les jours qui suivront.

Pour cette fois les hommes du 403e l’auront échappé belle.

Le 410e  perdra dix hommes dans ce secteur où l’on meure toujours…à petit feu.