Libération du camp de Dachau

En reprenant les papiers de mon père décédé récemment, j’ai relu les quelques pages qu’il avait écrites à la libération du camp de concentration de Dachau.

Venant de Saal an der Donau (*) il y avait été transféré après une de ces longues marches qualifiées de « Marches de la mort ». A son retour au pays il pesait moins de 40 kg et était condamné seule sa forte constitution lui a permis de survivre. Mais toute sa vie ses cauchemars l’ont poursuivi nous laissant impuissants devant son chagrin lorsque ces souvenirs douloureux remontaient à la surface.

A leur retour en Belgique, les récits des déportés étaient à ce point incroyables qu’ils ont parfois suscité le doute. Et puis le pays venait de se libérer de quatre longues années d’occupation et les gens, c’est un peu compréhensible, ne songeaient qu’à la fête et au bonheur retrouvé. Alors certains déportés se sont tus gardant pour eux les horreurs qu’ils avaient vécues.

Ce fut le cas de mon père et c’est par bribes, par morceaux au fil des années que, petit à petit, j’ai pu reconstituer une partie du puzzle. Un puzzle auquel il manquera toujours des pièces.

(Par respect pour ce témoignage aucune correction orthographique n’a été effectuée)

Dachau le 24/4. Arrivée au camp 6 jours sans pain et depuis samedi rien à manger. 26/4 J’ai fait mes Pâques. 29/4 Arrivée des Américains. 6H ou 7h du soir. Je suis installé dans mon lit en train de déguster mon bol d’ovomaltine. Dehors, c’est la canonade les coups de fusils et mitraillette. Les Américains ne sont qu’à 3km du camp. Paraît-il. De temps en temps je jette un coup d’oeil du côté des baraques des S.S ou il n’y a plus aucun mouvement. Soudain un hourra éclate : « America » Je regarde par la fenêtre, mais tout le bloc se précipite dehors. Obligé de me lever. Je bondis à la fenêtre et je vois les 3 premiers soldats Américains fusils et mitraillette pointée le long du camp. Déjà le long des barbelés il fait noir de prisonniers. D’autres soldats apparaissent ils sont indécis. Dans l’air monte sans discontinuer des hourras formidables Les barbelés des blocs de quarantaine sont arrêtés On s’embrasse, on hurle, les Américains saluent en riant déjà, ils sont une cinquantaine 

Les premiers ont continué leur avance et cherche les 130 SS. qui sont encore dans le camp. On coupe l’électricité des barbelés d’enceintes Alors c’est la ruée et la promenade des sentinelles est bientôt envahie a tout moment débouchent des soldats américains qui sont entourés ovationnés. Moi je reste debout sur la fenêtre. Je ne dis rien je ne pense rien. J’ai achevé mon bol d’ovomaltine. Je ne réalise pas. Il y a trop longtemps qu’on attend ce moment et maintenant qu’il est venu je ne le comprends pas. Le soir tombe les hourras continuent toujours. Je n’ai plus la force de rester debout. Je me couche en songeant au retour. Alors je réalise fini de crever de faim finit les coups, finies les vexations finie la guerre pour nous. Nous sommes libres. On va rentrer chez soi. Alors je crois que j’ai pleuré comme un imbécile.

Le 7/5 J’ai reçu un calepin ce jour et je recommence mon journal. Journal du temps de paix. Nous venons de recevoir la visite de 2 charmantes infirmières française. J’espère que demain je passerai à l’hôpital. J’ai une bronchite. Maintenant chez nous doivent savoir que je suis vivant à quand le retour ? Que vais-je retrouver chez nous ? Et Elle ? Libre ? Bah pas de bile attendons. J’attends bien depuis 14 mois. Quand je songe que c’est fini je ne peux encore réaliser la chose dans son entièreté. Il est 12h, j’attends la bouffe couché dans le plumard. Un lit pour 3. Si l’on m’avait dit ça dans le civil ! ….. Je viens de manger ma soupe, soupe de graines avec conserves mélangé. Pas mauvais. On vient d’appeler les « kelfacts » (?) pour le pain. Pain blanc ou pain boche ? / Boche le pain soupe et peut-être conserves pour 8. Je claque de faim/ Menu du jour, midi soupe d’orge avec très peu de viande, soir semoule et 1/3 de pain. C’est maigre

M 8/5 Nuit assez bonne. Je me suis réveillé ce matin avec un terrible point du côté droit. Ce matin nous avons reçu 7 biscuits. Ça vaut mieux que leur saleté de pain. Il paraît que ce soir on touche des biscuits au lieu de pain ?? Quand au départ on n’en parle pas la quarantaine continue J’ai la diarrhée et une bronchite. Vais-je essayer l’hôpital ? Nous verrons ce soir En attendant je vais dormir un peu. Nouveau bobard. Pour ce soir boîte d’Ovomaltine 4 pain en 2 200 gr de pain margarine ??? Dehors il faut beau, du soleil tout plein tout le camp se ballade. Si l’on était chez soi quelle belle journée. – Le bobard n’était pas si bobard que ça. Soupe de macaroni au lait et ¼ de boîte d’ovomaltine ce soir 500 gr de pain blanc en biscuits et 50 gr de marg, et nous avons reçu 350 gr de biscuits. Soupe et 50gr de marg biscuit Allemand au cumin, mais bon quand même.

M 9/8 (**) Aujourd’hui 116 gr de biscuits le matin. 7 biscuits le matin à 4h1/2 ou 5h soupe de semoule 1/3 de pain et soir riz et orge le tout très bon mais on commence à en avoir plein le dos de leur laitage et de leur papes. J’ai un point de congestion au poumon droit ça fait mal à part ça la chaleur et le cafard tout va bien J 10/8 (**) Aujourd’hui paraît-il pain blanc ?? reste à voir. Il y a 5 ans aujourd’hui les Allemands entraient en Belgique. Tout les Belges Hollandais et Luxembourgeois commémoreront ce jour par des cérémonies auxquelles je ne sais pas si j’assisterai


Le retour

S 10/5 (***) 7h1/2 départ de Dachau en route vers la Belgique. 10h Augsbourg tout a été démoli. Sur l’autostrade de Carlsruhe halte café au lait. La région de Dinant paraît-il fortement démolie. Voyage très long et très énervant. Arrivée à Karlhruhe vers11h reçu dans un centre de rapatriement français reçu du pain de la viande du fromage de la bière en petite quantité mais bon. Coucher 1h1/2 du matin.

Sinon des messages à l’adresse des siens et écrits en sténo sur des boutons de pyjama à la prison de St Gilles, ici se terminent les seules lignes écrites par mon père durant sa détention dans les camps. Il nous faudra attendre le 50e anniversaire de la libération des camps pour qu’il trouve le courage d’ écrire quelques lignes de mémoire.


(*) Saal an der Donau est une des annexes du camp de concentration de Flossenbürg
(**)On comprendra qu’il s’agit des 09/05 et 10/05. Petites erreurs dans la date bien compréhensibles vu l’état de santé et de faiblesse dans lesquelles du déporté.
(***) Il s’agit en fait du samedi 12/05

Une réflexion au sujet de « Libération du camp de Dachau »

  1. Reçu de Mr Dechamps en date du 29/04/2013 : Mes amitiés Anne pour ce jour anniversaire douloureux pour toi et les tiens

    de Astuc en date du 10/05/2013 : Merci pour ce témoignage très émouvant et tellement réaliste ..

    de Mr Jägers en date du 02/10/2013 : très émouvant de tel témoignage nous permet de mieux comprendre leur vécu mon oncle (Cremer victor ) également revenu de Dachau après la guerre. je recherche de la documentation et fhoto

    Jägers Jean

    de Perri en date du 02/11/2014 : Un magnifique témoignage qui peut permettre aux jeunes de commencer à comprendre la réalité de la difficulté qu’’ont rencontré nos patriotes pour survivre Mille merci Monsieur SIMON pour votre journal et merci Anne de l’avoir publié

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