Dachau est libéré mais …

[C’est afin de respecter la chronologie du témoignage de cette libération que je fais remonter cet article paru en janvier 2009 ]

Le camp de Dachau a été libéré le 29 avril 1945, les survivants vivent dans la hâte du retour au foyer mais après le joug nazi, c’est le typhus qui tient les hommes prisonniers ! Ils ont été mis en quarantaine et le retour à la maison semble s’éloigner. Les hommes ressentent très mal cet état de fait car pour eux, mis à part les barbelés qui ne sont plus électrifiés et quelques améliorations du côté de la nourriture et des soins, rien ne semble avoir changé.

Le 10 mai, sur un bout de papier qu’il fera parvenir à sa mère via la croix-rouge, mon père écrit ce mot en forme de supplique :

Dachau le 10-5-45 Bien chère maman et chers tous, Voici ma 3e lettre le temps passe et rien ne se décide ici. Nous sommes en quarantaine ce qui retarde le rapatriement. Il faut que toutes les familles des prisonniers réclament auprès du gouvernement pour hâter le retour sinon dans 2 mois nous serons encore ici. Et il n’y fait pas gai car a part la nourriture qui est améliorée nous vivons dans les mêmes conditions que pendant la captivité. Nous couchons 3 par lit tu te rends compte et on compte jusque 500 hommes sur 144m2 !! Evidemment ça se dégage tout doucement mais pour nous ce qui compte c’est le chez soi. Alors insistez tous pour que le gouvernement emploie les mesures qu’il faut pour hâter le retour. Si tu sais m’envoyer un colis par la croix-rouge fais le, du linge pas besoin à moins que mouchoirs et une chemise, le reste ça va. Un peu de cigarettes et des « machins po mougné ». Nous sommes ici au régime lacté ce qui n’est pas gai parce que certains ont la dysenterie. A part ça tout va bien j’ai un peu de bronchite. Et chez nous ? J’espère que ça va. Ne vous en faites le temps passera vite et on sera vite là mais encore une fois faites ce qu’il faut pour le retour. Je termine sans avoir presque rien dit ce dont je m’excuse. Bien des amitiés chez Mme Degeimbre, à Gilberte, Andrée et Georges. Milles baisers aux petits et pour toi maman aussi Jef Nénette Jean. Arthur

Heureusement pour lui, mon père a été évacué quelques jours plus tard. À son arrivée dans son village natal de Beauraing, il pesait moins de 40kg. Et il venait**seulement** de subir entre 12 et 14 mois de détention dont 10 passés en camp de concentration…(*)

Sur ce détail on peut lire numéro du bloc où il se trouvait et le numéro qui lui avait été attribué à son arrivée au camp de Dachau  (**)

Mon père est arrivé à Dachau quelques jours avant la libération du camp. A l’arrivée depuis Saal-an-der-Donau, sur les 80 hommes de son wagon, on a seulement relevé 4 survivants !


(*) Il a été arrêté aux environs d’avril- mai 1944 et, après un très bref passage dans les prisons de Dinant et Namur, transféré à la prison de St Gilles. Selon les documents allemands, il fut déporté vers l’Allemagne le 21 juillet 1944

(**) Au camp de Flossenbürg il portait le matricule 44723

 

Libération du camp de Dachau

En reprenant les papiers de mon père décédé récemment, j’ai relu les quelques pages qu’il avait écrites à la libération du camp de concentration de Dachau.

Venant de Saal an der Donau (*) il y avait été transféré après une de ces longues marches qualifiées de « Marches de la mort ». A son retour au pays il pesait moins de 40 kg et était condamné seule sa forte constitution lui a permis de survivre. Mais toute sa vie ses cauchemars l’ont poursuivi nous laissant impuissants devant son chagrin lorsque ces souvenirs douloureux remontaient à la surface.

A leur retour en Belgique, les récits des déportés étaient à ce point incroyables qu’ils ont parfois suscité le doute. Et puis le pays venait de se libérer de quatre longues années d’occupation et les gens, c’est un peu compréhensible, ne songeaient qu’à la fête et au bonheur retrouvé. Alors certains déportés se sont tus gardant pour eux les horreurs qu’ils avaient vécues.

Ce fut le cas de mon père et c’est par bribes, par morceaux au fil des années que, petit à petit, j’ai pu reconstituer une partie du puzzle. Un puzzle auquel il manquera toujours des pièces.

(Par respect pour ce témoignage aucune correction orthographique n’a été effectuée)

Dachau le 24/4. Arrivée au camp 6 jours sans pain et depuis samedi rien à manger. 26/4 J’ai fait mes Pâques. 29/4 Arrivée des Américains. 6H ou 7h du soir. Je suis installé dans mon lit en train de déguster mon bol d’ovomaltine. Dehors, c’est la canonade les coups de fusils et mitraillette. Les Américains ne sont qu’à 3km du camp. Paraît-il. De temps en temps je jette un coup d’oeil du côté des baraques des S.S ou il n’y a plus aucun mouvement. Soudain un hourra éclate : « America » Je regarde par la fenêtre, mais tout le bloc se précipite dehors. Obligé de me lever. Je bondis à la fenêtre et je vois les 3 premiers soldats Américains fusils et mitraillette pointée le long du camp. Déjà le long des barbelés il fait noir de prisonniers. D’autres soldats apparaissent ils sont indécis. Dans l’air monte sans discontinuer des hourras formidables Les barbelés des blocs de quarantaine sont arrêtés On s’embrasse, on hurle, les Américains saluent en riant déjà, ils sont une cinquantaine 

Les premiers ont continué leur avance et cherche les 130 SS. qui sont encore dans le camp. On coupe l’électricité des barbelés d’enceintes Alors c’est la ruée et la promenade des sentinelles est bientôt envahie a tout moment débouchent des soldats américains qui sont entourés ovationnés. Moi je reste debout sur la fenêtre. Je ne dis rien je ne pense rien. J’ai achevé mon bol d’ovomaltine. Je ne réalise pas. Il y a trop longtemps qu’on attend ce moment et maintenant qu’il est venu je ne le comprends pas. Le soir tombe les hourras continuent toujours. Je n’ai plus la force de rester debout. Je me couche en songeant au retour. Alors je réalise fini de crever de faim finit les coups, finies les vexations finie la guerre pour nous. Nous sommes libres. On va rentrer chez soi. Alors je crois que j’ai pleuré comme un imbécile.

Le 7/5 J’ai reçu un calepin ce jour et je recommence mon journal. Journal du temps de paix. Nous venons de recevoir la visite de 2 charmantes infirmières française. J’espère que demain je passerai à l’hôpital. J’ai une bronchite. Maintenant chez nous doivent savoir que je suis vivant à quand le retour ? Que vais-je retrouver chez nous ? Et Elle ? Libre ? Bah pas de bile attendons. J’attends bien depuis 14 mois. Quand je songe que c’est fini je ne peux encore réaliser la chose dans son entièreté. Il est 12h, j’attends la bouffe couché dans le plumard. Un lit pour 3. Si l’on m’avait dit ça dans le civil ! ….. Je viens de manger ma soupe, soupe de graines avec conserves mélangé. Pas mauvais. On vient d’appeler les « kelfacts » (?) pour le pain. Pain blanc ou pain boche ? / Boche le pain soupe et peut-être conserves pour 8. Je claque de faim/ Menu du jour, midi soupe d’orge avec très peu de viande, soir semoule et 1/3 de pain. C’est maigre

M 8/5 Nuit assez bonne. Je me suis réveillé ce matin avec un terrible point du côté droit. Ce matin nous avons reçu 7 biscuits. Ça vaut mieux que leur saleté de pain. Il paraît que ce soir on touche des biscuits au lieu de pain ?? Quand au départ on n’en parle pas la quarantaine continue J’ai la diarrhée et une bronchite. Vais-je essayer l’hôpital ? Nous verrons ce soir En attendant je vais dormir un peu. Nouveau bobard. Pour ce soir boîte d’Ovomaltine 4 pain en 2 200 gr de pain margarine ??? Dehors il faut beau, du soleil tout plein tout le camp se ballade. Si l’on était chez soi quelle belle journée. – Le bobard n’était pas si bobard que ça. Soupe de macaroni au lait et ¼ de boîte d’ovomaltine ce soir 500 gr de pain blanc en biscuits et 50 gr de marg, et nous avons reçu 350 gr de biscuits. Soupe et 50gr de marg biscuit Allemand au cumin, mais bon quand même.

M 9/8 (**) Aujourd’hui 116 gr de biscuits le matin. 7 biscuits le matin à 4h1/2 ou 5h soupe de semoule 1/3 de pain et soir riz et orge le tout très bon mais on commence à en avoir plein le dos de leur laitage et de leur papes. J’ai un point de congestion au poumon droit ça fait mal à part ça la chaleur et le cafard tout va bien J 10/8 (**) Aujourd’hui paraît-il pain blanc ?? reste à voir. Il y a 5 ans aujourd’hui les Allemands entraient en Belgique. Tout les Belges Hollandais et Luxembourgeois commémoreront ce jour par des cérémonies auxquelles je ne sais pas si j’assisterai


Le retour

S 10/5 (***) 7h1/2 départ de Dachau en route vers la Belgique. 10h Augsbourg tout a été démoli. Sur l’autostrade de Carlsruhe halte café au lait. La région de Dinant paraît-il fortement démolie. Voyage très long et très énervant. Arrivée à Karlhruhe vers11h reçu dans un centre de rapatriement français reçu du pain de la viande du fromage de la bière en petite quantité mais bon. Coucher 1h1/2 du matin.

Sinon des messages à l’adresse des siens et écrits en sténo sur des boutons de pyjama à la prison de St Gilles, ici se terminent les seules lignes écrites par mon père durant sa détention dans les camps. Il nous faudra attendre le 50e anniversaire de la libération des camps pour qu’il trouve le courage d’ écrire quelques lignes de mémoire.


(*) Saal an der Donau est une des annexes du camp de concentration de Flossenbürg
(**)On comprendra qu’il s’agit des 09/05 et 10/05. Petites erreurs dans la date bien compréhensibles vu l’état de santé et de faiblesse dans lesquelles du déporté.
(***) Il s’agit en fait du samedi 12/05

Evacuation du camp de Saal an der Donau

Il y a 64 ans, devant l’avancée conjointe des troupes soviétiques et américaines, les nazis ont procédé à l’évacuation des camps de concentration. Celle de Saal/Donau (*) vers le camp de Dachau a eu lieu à la mi-avril. Mon père faisait partie des « évacués », voici son témoignage :

[..] Un matin, les Allemands nous ont averti que le camp devait être évacué et que le trajet devait se faire soit à pied, soit en camion. J’ai choisi de partir à pied, mon copain, lui, voulait partir en camion. Je lui ai fait remarquer que je ne voyais vraiment pas comment ils feraient pour trouver des camions alors que les prisonniers qui arrivaient d’un peu partout arrivaient tous à pied. De plus nous n’étions que des prisonniers politiques pour les Allemands dont ils ne se souciaient pas beaucoup. J’ai pu convaincre le Français qui était avec moi qu’il serait plus raisonnable de partir à pied.

Je dois dire que nous n’avons jamais revu les prisonniers qui avaient choisi d’être transportés en camions.

Le trajet pour arriver à la gare devait bien faire quelques kilomètres. Durant cette marche, plusieurs prisonniers sont morts d’épuisement ou abattus par les SS. Nous étions dans un tel état d’affaiblissement que le fait de marcher devenait un véritable calvaire. Pour pouvoir manger, nous avions rempli nos poches d’herbes que nous arrachions sur les bords du chemin et de sel (qui je pense devait servir à dégeler les routes).

J’avais choisi une place au début de la colonne parce que, au fur et à mesure que l’on avançait, on reculait automatiquement vers la fin de la colonne qui était fermée par une ligne de SS qui abattaient tous ceux qui avaient le malheur d’être rejoints. Les SS marchaient à peu près cent mètres derrière la colonne. Pendant le trajet vers la gare nous avons encore perdu plusieurs compagnons. Nous y sommes enfin arrivés où, par chance, nous avons retrouvé un train de marchandise avec des wagons qui heureusement n’avaient pas de toit. Je ne crois pas que nous serions jamais arrivé à destination si nous avions eu des wagons complètement fermés.

Moi je me suis précipité dans un coin du wagon. J’avais plié ma couverture que j’ai mise sous moi. Je n’ai plus bougé jusqu’à ce que le train soit bien parti. Ce voyage a duré plusieurs jours, pratiquement sans nourriture, à part quelques pommes de terre crues que les gardiens jetaient de temps en temps dans le wagon ce qui provoquait une bagarre phénoménale. Ceci augmentait encore le nombre de morts. Une seule fois, j’ai voulu attraper une pomme de terre, mais j’ai tellement dû me bagarrer pour retrouver ma place que j’ai décidé de ne plus faire d’effort pour un résultat aussi négatif. Le voyage fut très éprouvant. De plus, la plupart des prisonniers sont morts pendant ce voyage. En fait, quand nous sommes arrivés à destination, ce n’était pratiquement plus qu’un transport de cadavres.

Ce trajet a certainement duré six ou sept jours. Pendant la journée nous étions survolés par des avions américains qui descendaient pour, je pense, s’assurer que ce n’était pas un train de troupes parce que nous n’avons pas été bombardés. Mais, en revanche, nous avons été mitraillés. Je pense que c’était de la part des avions américains une forme de dissuasion. Du moins je le suppose.

En fin de compte, nous sommes arrivés à Dachau. Comme je l’ai déjà expliqué, notre convoi n’était plus qu’un convoi de mourants et de morts. Quand je me suis extrait du wagon, nous n’étions plus que quatre survivants sur 80. Et je suis bien certain que c’était certainement pareil dans les autres wagons vu que nous étions restés presque sept jours sans nourriture.

En descendant du wagon je suis resté accroché avec ma veste et suspendu dans le vide. Un Allemand m’a arraché de ma position et je suis heureusement retombé de l’autre côté de la ligne formée par les soldats qui surveillaient le déchargement [..]

Dans le camp de Saal, créé en novembre 1944, il y aurait eu, par moments, un peu plus de 600 hommes prisonniers en même temps. Après la guerre on a seulement retrouvé 20 corps et les cendres de 360 personnes.

Selon certaines sources le camp se situait dans les environs de la route qui reliait Saal am der Donau au village de Teugn


(*) Annexe du camp de Flossenbürg)