Les mines, l’artillerie et les tireurs embusqués

Dans le JMO à la date du 15 mai, on peut lire :

Le Génie fait exploser une mine qui produit un entonnoir de 15 à 20 mètres de diamètres en avant du D Français. Les Allemands se sont contentés de riposter par un bombardement de 155 sur nos tranchées

Mais il ne relate pas la mort de ces hommes qui tombent presque anonymes sous le feu du tireur embusqué. Le souvenir de celle-ci a seulement été gravée au crayon mine dans le carnet de leurs proches compagnons.

Depuis la veille la 6e Cie a prit position dans les tranchées qui font face au lieu-dit « petit bois français » un endroit que, par ailleurs, le caporal Autin nous décrit comme très dangereux. À l’aube du 15 mai ce sont deux de ses hommes, ainsi qu’un soldat d’une autre section, qui tombent sous les balles d’un tireur embusqué…

Nous sommes dans des tranchées à moitié démolies par les mines et bombes de toutes sortes, qu’il va nous falloir reconsolider tout en surveillant qui est à 15 mètres, 5h35 du matin, 2 hommes de mon escouade -Lefèbre cl 14 et Nigaize cl 15 tombent tous deux mortellement frappés d’une balle en pleine tête, un autre mort également faisait partie de la 3ème section.

Le lendemain 16 mai, tandis que le JMO relate deux nouvelles explosions, l’une côté allemand, l’autre côté français. Mais pour les camarades des deux soldats tués la veille, l’important est, avant de procéder à leur inhumation, de leur trouver un cercueil à chacun. En effet d’après ce que j’ai pu lire il semble que les soldats étaient souvent inhumés à même la terre, parfois dans une toile.

En tout cas ce fait semble assez important pour que le soldat en fasse mention dans son carnet…

Le matin 6h ½ enterrement de mes deux petits camarades, on leur a donné à chacun un cercueil […]

…alors même qu’il se trouve dans des tranchées à moitié éboulées, qu’il faut consolider, et qui sont à moins de 15 m des lignes allemandes. Dans ces conditions on imagine combien le fait d’inhumer dignement leurs compagnons était important pour ces soldats.

Le lendemain 17 mai, c’est un soldat de la 1ère section qui tombe sous la balle de ceux qu’on nomme aujourd’hui « sniper ». Ce qui fait dire à notre soldat :

Matin 1 mort à la première section, toujours d’une balle dans la tête ; vraiment c’est à croire que l’on ne peut tomber que de cette façon !

Témoignage sur l’arrestation de Cahon (F)

En juillet 2005, à l’occasion d’un séjour dans la Somme, j’avais découvert ce monument isolé érigé dans une clairière du bois de Cambron (à l’Est du village de Cahon)

Il rappelle à notre mémoire le sacrifice de trois résistants qui furent exécutés là en juillet 1944 après avoir été longuement torturés par la Gestapo.

Edmond BAUDERE 41 ans
Roger BAUDERE 22 ans
Turenne DELAPORTE 30 ans

Si je remets ce monument à l’honneur c’est qu’aujourd’hui la famille BAUDERE me fait cadeau du témoignage de l’aînée des enfants d’Edmond. Un témoignage qui nous éclaire sur les conditions dans lesquelles lui et son fils ont été arrêtés et, pour leurs proches, les conséquences tragiques de cette disparition.

Merci à Thérèse et à sa fille Dolores pour l’envoi et le partage de l’émouvant témoignage qui suit.

« Les martyrs du bois de Cambron »

 

Le 28 juillet 1944 au matin.

Nous habitions une ferme isolée, derrière l’habitation il y avait des pâtures et une ruelle. Dans cette ruelle ayant aperçu un homme, j’étais seule, j’avais 16ans, avec mes jeunes soeurs. Notre mère décédée depuis 9 mois,je suis partie dans le village avec ma soeur faire un tour.

Toujours le 28 juillet 1944, une personne monsieur H….. est venue à la maison, me demander si mon frère était là, j’ai répondu oui. Il se trouve dans sa chambre,voulez-vous que je l’appelle? Non.

Il sort de ses poches 2 révolvers, il les dépose sur la table. Tu lui diras, qu’il mène cela pour 2 heures moins le quart. Mon frère au moment de quitter la maison, me recommande de donner des vêtements à une personne qui était caché chez nous, quelqu’un va venir le chercher. Mon frère a pris les armes mis dans un sac est parti sur son vélo. et c’est là qu’il sait fait arrêter.

Un moment après,une moto monte la ruelle ce sont les allemands,la Gestapo. il me présente le laisser passer de mon frère me demandant s’il habitait bien la, j’ai répondu oui. Ils sont repartis, mais sont revenus. Ils nous ont fait sortir les bottes de pailles qui se trouvait dans les granges, ensuite à la cave ils ont remonté des petits sacs en jute contenant quelque chose.

Ils hurlent « terroriste, terroriste », puis dans une chambre un poste à galène, puis dans le grenier au dessus de la maison, ils ont découvert des boites avec des armes et des munitions. Ils ont fouillé partout, ils sont restés très tard. Notre père rentré de son travail. Les Allemands nous ont emmenés dans un chemin de terre, ils nous ont conduit dans le village voisin ou se trouve la Kommandatur.

Ils nous ont fait rentrer dans une pièce, ils ouvrent un placard ou mon frère était enfermé, il avait les bras derrière le dos. Mon père, ma soeur et moi étions enfermés dans une grange.

Le lendemain, ils nous emmènent pour nous interroger dans une pièce, mon frère était dans l’autre pièce. Un Allemand faisait tourner une cravache, il avançait pour battre mon frère. Je suis restée jusqu’au 31 juillet dans cette grange. Un allemand vient pour nous dire de partir, il me dit nous allons emmener ta soeur dans une chambre, tu iras chez toi pour lui apporter du linge, nous serons sur la place pour t’attendre.

Mais les rues du village étaient gardées. Un jeune allemand ma reconnue, il m’a dit ou vas-tu, je lui ai répondu chez moi, il me dit non , ne vas pas chez toi, il te faut une voiture m’attend sur la place.

Moi libérée, je n’avais plus de domicile, mes frères et soeurs n’étaient plus là. Je suis allée chez une compagne d’école qui m’ont accueillie trois semaines jusqu’à la fin de la libération.

Le soir de la libération, un homme arrive chez ces personnes, il avait un révolver, il met son arme sous mon nez. Je dois le suivre, une voiture attendait c’était une traction. Ils avaient récupéré ma soeur aussi et une autre personne, ils nous ont conduit a la prison d’ABBEVILLE.

Mais avant de nous mettre en prison, ils nous ont rentré dans une grande cour et ils nous ont dit, on va vous couper vos cheveux et faire une croix gammée sur la tête parce qu’ils nous soupçonnaient de dénonciation. c était les FFI ou des résistants. ils venaient nous interroger à la prison pour nous demander si on avait caché de l’argent, je n’étais pas au courant de rien.

Il voulait savoir si j’avais un amoureux, je leur ai dit que non. Sur le palier il me disait des mots grossiers « salope, saloperie ce n’est pas un coeur que tu as, c’est une pierre ».

D’autres personnes, peut-être du palais de justice m’interroger dans une chapelle. Un jour, un résistant vient me faire sortir sur le palier, et toujours avec la même éducation ce jour là, il me dit c’est toi qui a fait fusiller ton père et ton frère. Je n ose pas ajouter ce qu’il ma dit , c’est pas 12 ou 13 balles c’est 14 balles que tu vas avoir dans ta peau.

Notre mère est décédée le 23 octobre 1943. En 1942, ma mère a décidée que je resterais auprès d’elle pour s’occuper de mes frères et soeurs.

Après cette libération de la sortie de prison d’ABBEVILLE. Je ne connaissais pas cette ville, de fil en aiguille, je trouve la gare. Je me retrouve sur le faubourg de Rouvroy, je rencontre, ma petite soeur de 3 ans qui revenait de l’école. Je m’adresse à ma cousine qui s’occuper de ma petite soeur, elle me demande « où tu vas », je réponds je ne sais pas, son mari pris son vélo pour me déposer sur une route déserte, il m’abandonne sur cette route où j’avais une tante qui habitait au village voisin. Mes jeunes frères et soeurs ont été dispersés.

C’est là que j’ai appris que mon père et mon frère ont été retrouvés et enterrés avec notre mère au village de MIANNAY dans la Somme. « 

La petite-fille de Edmond Baudere m’a apprit que sa tante a passé 18 mois en prison et que, depuis ces tragiques évènements, elle est dépressive et pense toujours qu’on va la tuer….

Les jours de repos

Ils sont attendus par les hommes avec l’impatience que l’on devine…

30 avril

[..] 2h ½ du matin nous sommes relevés par une compagnie du 410 et nous partons au repos à 12 km de là au village de Morlancourt-arrivé à 8 heures, quel bien être ; on peut laissé tomber son équipement et se déshabillé-l’après-midi je fais ma lessive à 18 km de là au moulin de Corbie. [..]

Les hommes en profitent aussi pour faire quelques achats et, quand ils le peuvent, se payent une petite fantaisie comme l’achat de lait pour se faire du chocolat ! Le dimanche certaines compagnies organisent des jeux.

Et quand le front se fixe, en arrière des tranchées des zones de repos peuvent même être « confortablement » aménagées par les soldats…

Mais les séjours au cantonnement ne sont pas toujours de tout repos. Quand ce ne sont pas des exercices à la baïonnette ou de marches rampantes, les compagnies doivent, certaines nuits, fournir des hommes pour des travaux à exécuter sous les ordres du génie.

10 mai

[..] 1h du matin la 6ème compagnie est relevée par le 410, nous arrivons à Bray à 4h contents de pouvoir nous reposer un peu après 7 jours au régime des soupes. 7 h réveil et nous entreprenons le brossage des effets et des armes, l’après-midi douches et lavage du linge ; le soir désillusion, une corvée de 120 hommes par compagnie est ordonnée pour la répartition des tranchées[..]

Les hommes de cette compagnie quitteront le travail à deux heures du matin. Mais avec la boue qui a envahi les boyaux de communication, ils ne rejoindront leur cantonnement qu’à 4h. Un cantonnement qui n’était pourtant qu’à 2 km de distance.

Les 11, 12 et 13 mai en journée ils bénéficieront enfin d’un repos bien mérité mais de courte durée…

[..] La nuit du 13 au 14 travail aux tranchées en face de Marmetz, la pluie tombe averse et c’est pour nous une grosse difficulté pour ce genre de travail. Nous apprenons que les Allemands ont fait sauter une mine sous l’emplacement de notre 1ère section, il y a une douzaine de morts.

Ce soir, nous relevons le 1er bataillon au petit bois Français (Fricourt) endroit très dangereux, enfin, ayons confiance.[..]

Et voilà déjà terminée une brève période de répit.

(Les textes en italiques sont extrait du carnet du caporal Henri Autin)