72h avec les soldats dans les tranchées

Entre le 18 et le 29 mai tout est calme dans le secteur du 403 puisqu’à ces dates on note dans les pages du JMO « journées calmes – rien à signaler ».

Au sein de l’Etat-Major on en profite pour faire procéder à plusieurs nominations.

Tout est calme donc mais la vie n’en est pas pour autant devenue subitement agréable dans les tranchées de 1ère ligne sur lesquelles règne toujours le danger des tireurs embusqués et où la pluie a fait son apparition.

Dans celle où notre caporal monte la garde, l’eau qui tombe en masse fait s’ébouler à demi la tranchée. Les hommes ont de l’eau jusqu’à mi-jambes. Le « jus », préparé à 1500 m à l’arrière et sensé les réchauffer, leur arrive froid. Les ravitailleurs comme les hommes en poste ont un mal fou à marcher dans l’eau et la boue des boyaux.

En première ligne ils doivent bien sûr rester équipés et pendant les poses de garde, trempés jusqu’aux os, les hommes s’allongent comme ils peuvent, à même le sol. Pour certains chanceux, sur des sacs à provisions.

Et en ce 18 mai quand ils reprennent la garde après quelques heures de repos, les Allemands les accueillent à coup de grenade. Grosse émotion au sein de l’escouade du caporal Autin mais heureusement personne n’est atteint.

C’est par le JMO de la 301e Brigade, dont dépend le régiment, qu’on en apprend que la 6e Cie ne s’est pas contentée de « faire le gros dos » face à cet accueil :

[…]Au cours de la journée du 18 il y a également à mentionner une lutte à coups de grenades dans la zone E de 12h30 à 13h. La 6e Cie qui occupe la zone E prend un avantage marqué et impose le silence aux Allemands.

Quand, plus tard au cours de la journée, la pluie semble se calmer ; comme l’écrit notre caporal, les soldats sont soulagés :

La pluie a une tendance à cesser ; nous en serions bien aise, car nous avons l’impression qu’il ne serait pas possible de se battre dans l’état que nous sommes.

Dans le secteur de la 6e Cie, quelques échanges de coups de fusil ponctuent la matinée du 19 mai. Après une nuit calme les hommes de garde regagnent les abris pour 24h de repos mais ils sont bientôt réveillés par une décharge de grenades, saucissons et crapouillots expédiée par les troupes ennemies. Les 75 entre en jeu pour les calmer, ce qu’il font aussitôt !

Le soleil fera enfin son apparition dans journée du 20 et ce jour dans son carnet notre caporal note :

Midi nous prenons notre poste d’observation, il fait très calme à part un coup de fusil qui part au plus tous les quart d’heure, c’est le silence le plus absolu. A l’heure où j’écris ce passage, je suis à mon poste assis en face d’un soleil luisant. Que cela est bon, après la semaine pluvieuse que je viens de traverser, je me sens enfin revivre et quand je pense que demain nous serons au repos, pour 7 jours, je me réjouis encore d’avantage.

Dans les tranchées il y a la pluie, la boue mais aussi l’odeur des cadavres qu’on n’arrive même plus inhumer. Dans certains secteurs ils sont là depuis le mois de décembre.

[…] avant de partir, je brûle du désir de visiter le terrain qui se trouve entre la 1ère et la seconde de nos lignes. Une odeur nauséabonde nous vient de là, j’ai l’impression qu’il y a un cadavre. Si je le trouve, je le ramènerai.

Dans la nuit du 20 mai au 21 mai ce sera enfin la relève. Ils partiront pour Morlancourt, à 12km de là.

Les mines, l’artillerie et les tireurs embusqués

Dans le JMO à la date du 15 mai, on peut lire :

Le Génie fait exploser une mine qui produit un entonnoir de 15 à 20 mètres de diamètres en avant du D Français. Les Allemands se sont contentés de riposter par un bombardement de 155 sur nos tranchées

Mais il ne relate pas la mort de ces hommes qui tombent presque anonymes sous le feu du tireur embusqué. Le souvenir de celle-ci a seulement été gravée au crayon mine dans le carnet de leurs proches compagnons.

Depuis la veille la 6e Cie a prit position dans les tranchées qui font face au lieu-dit « petit bois français » un endroit que, par ailleurs, le caporal Autin nous décrit comme très dangereux. À l’aube du 15 mai ce sont deux de ses hommes, ainsi qu’un soldat d’une autre section, qui tombent sous les balles d’un tireur embusqué…

Nous sommes dans des tranchées à moitié démolies par les mines et bombes de toutes sortes, qu’il va nous falloir reconsolider tout en surveillant qui est à 15 mètres, 5h35 du matin, 2 hommes de mon escouade -Lefèbre cl 14 et Nigaize cl 15 tombent tous deux mortellement frappés d’une balle en pleine tête, un autre mort également faisait partie de la 3ème section.

Le lendemain 16 mai, tandis que le JMO relate deux nouvelles explosions, l’une côté allemand, l’autre côté français. Mais pour les camarades des deux soldats tués la veille, l’important est, avant de procéder à leur inhumation, de leur trouver un cercueil à chacun. En effet d’après ce que j’ai pu lire il semble que les soldats étaient souvent inhumés à même la terre, parfois dans une toile.

En tout cas ce fait semble assez important pour que le soldat en fasse mention dans son carnet…

Le matin 6h ½ enterrement de mes deux petits camarades, on leur a donné à chacun un cercueil […]

…alors même qu’il se trouve dans des tranchées à moitié éboulées, qu’il faut consolider, et qui sont à moins de 15 m des lignes allemandes. Dans ces conditions on imagine combien le fait d’inhumer dignement leurs compagnons était important pour ces soldats.

Le lendemain 17 mai, c’est un soldat de la 1ère section qui tombe sous la balle de ceux qu’on nomme aujourd’hui « sniper ». Ce qui fait dire à notre soldat :

Matin 1 mort à la première section, toujours d’une balle dans la tête ; vraiment c’est à croire que l’on ne peut tomber que de cette façon !

Les jours de repos

Ils sont attendus par les hommes avec l’impatience que l’on devine…

30 avril

[..] 2h ½ du matin nous sommes relevés par une compagnie du 410 et nous partons au repos à 12 km de là au village de Morlancourt-arrivé à 8 heures, quel bien être ; on peut laissé tomber son équipement et se déshabillé-l’après-midi je fais ma lessive à 18 km de là au moulin de Corbie. [..]

Les hommes en profitent aussi pour faire quelques achats et, quand ils le peuvent, se payent une petite fantaisie comme l’achat de lait pour se faire du chocolat ! Le dimanche certaines compagnies organisent des jeux.

Et quand le front se fixe, en arrière des tranchées des zones de repos peuvent même être « confortablement » aménagées par les soldats…

Mais les séjours au cantonnement ne sont pas toujours de tout repos. Quand ce ne sont pas des exercices à la baïonnette ou de marches rampantes, les compagnies doivent, certaines nuits, fournir des hommes pour des travaux à exécuter sous les ordres du génie.

10 mai

[..] 1h du matin la 6ème compagnie est relevée par le 410, nous arrivons à Bray à 4h contents de pouvoir nous reposer un peu après 7 jours au régime des soupes. 7 h réveil et nous entreprenons le brossage des effets et des armes, l’après-midi douches et lavage du linge ; le soir désillusion, une corvée de 120 hommes par compagnie est ordonnée pour la répartition des tranchées[..]

Les hommes de cette compagnie quitteront le travail à deux heures du matin. Mais avec la boue qui a envahi les boyaux de communication, ils ne rejoindront leur cantonnement qu’à 4h. Un cantonnement qui n’était pourtant qu’à 2 km de distance.

Les 11, 12 et 13 mai en journée ils bénéficieront enfin d’un repos bien mérité mais de courte durée…

[..] La nuit du 13 au 14 travail aux tranchées en face de Marmetz, la pluie tombe averse et c’est pour nous une grosse difficulté pour ce genre de travail. Nous apprenons que les Allemands ont fait sauter une mine sous l’emplacement de notre 1ère section, il y a une douzaine de morts.

Ce soir, nous relevons le 1er bataillon au petit bois Français (Fricourt) endroit très dangereux, enfin, ayons confiance.[..]

Et voilà déjà terminée une brève période de répit.

(Les textes en italiques sont extrait du carnet du caporal Henri Autin)